Chapitre 1 – J’ai rendez-vous avec la vie

Je t’écris pour ne pas pleurer


1. Née pour aimer

L’histoire que je m’apprête à vous raconter dans ce livre a vraiment eu lieu. Voici ce qui s’est réellement passé…

4 août 2022

Il consulta sa montre pour la seconde fois. Cela faisait dix minutes qu’il attendait le retour du directeur du centre. La secrétaire, qui se prénommait Sandra l’avait invité à patienter dans son minuscule bureau en affirmant que ce n’était qu’une question de minutes. Il se tenait debout devant la grande baie vitrée avec beaucoup de difficulté. Heureusement que ses amis étaient là pour le soutenir. 

Ses béquilles ne le quittaient plus d’une semelle depuis qu’il avait pu se servir à nouveau de ses jambes. Sandra lui avait conseillé de s’asseoir, mais c’était mal le connaître, il était trop attiré par ce qu’il appelait « mes magnifiques falaises blanches aux sommets verdoyants. » Malchance pour lui, il ne voyait que la mer au loin. Question de politesse ou de fierté, il préférait se présenter debout au responsable.

  • Bonjour et bienvenue à « La Maison du bien-être ». Comment trouvez-vous le nom de notre centre ?
  •  Enchanté ! répondit-il en se retournant lentement. C’est, il ne savait pas quoi dire, ce n’est pas trop grand et il est bien situé.
  •   Je manque à tous mes devoirs. Je me présente, je m’appelle Ludovic Leduc et je suis le directeur, le seul responsable de tout ce qui arrive entre ces murs. Les deux hommes se saluèrent de la tête, la crise de la Covid était encore d’actualité, mais fort heureusement le masque n’était plus obligatoire pour le moment. Si vous rencontrez le moindre problème durant votre séjour, n’hésitez pas à venir frapper à ma porte. Mais je parle, je parle, excusez-moi. Ne restez pas debout, prenez place, et il lui présenta un gros club.
  • Merci beaucoup, monsieur. 

Il s’assit lentement et déposa ses béquilles contre le dossier.

  •  Allons, allons, pas de formule de politesse entre nous, appelez-moi Ludovic. Vous faites partie de nos premiers résidents. Vous remarquerez qu’ici personne ne prononcera les mots malades ni patients.

 Le mal-être, qu’il soit physique ou psychique, n’est pas une maladie. Comme vous l’avez sans doute appris par Jean-Paul, nous avons inauguré le centre il y a seulement deux mois. Je vous avoue que ce fut une longue bataille pour convaincre le Conservatoire du littoral du bien-fondé de notre projet et de nous céder un morceau de terrain sur la Falaise d’Amont. 

  •  Malheureusement, d’ici, on ne peut admirer la Porte d’Aval. 
  • Non, certes, mais en contrepartie, vous serez à l’aise dans notre merveilleux jardin d’où vous verrez la Chapelle Notre Dame de la Garde.
  •  Oui, on l’aperçoit depuis votre fenêtre.
  • C’est juste, et chez nous, les résidents ne peuvent qu’aller mieux. 

Le directeur se rendit compte qu’il radotait et fit semblant de feuilleter son dossier alors qu’il pouvait le réciter par cœur. Il connaissait très bien le passé de l’homme assis devant lui.

Ludovic Leduc venait d’entrer dans cette décennie symbolique qu’est la cinquantaine. Il s’était un peu laissé aller et se trouvait en léger surpoids. Il souffrait d’une calvitie bien avancée qu’il essayait de cacher en peignant ses cheveux vers l’avant. Il transpirait abondamment à cause de son diabète, mais aussi parce qu’il discutait de vive voix avec celui dont sa femme n’arrêtait pas de lui rebattre les oreilles depuis qu’elle avait appris qu’il était revenu s’installer dans la commune. « Tu en as de la chance de pouvoir le rencontrer. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour me trouver à ta place. Pourrais-tu lui parler de moi ?»

  • J’ai rendez-vous avec la vie, s’écria Ludovic après un long silence. C’est bien la première phrase que vous ayez prononcée en ouvrant les yeux, non ?
  • Oui. Mais pas tout de suite à mon réveil, car je me trouvais dans l’incapacité de parler. Il sourit. À cause du tuyau dans ma gorge bien sûr, ajouta-t-il. Disons qu’elle m’a traversé l’esprit et depuis elle ne m’a plus jamais quitté. 

Il n’avait pas arrêté d’observer ce petit homme qui se tamponnait activement le front avec son mouchoir, alors que le centre était équipé de climatisation. Il transpirait plus que la normale. 

  •  Vous ne trouvez pas qu’il fait de plus en plus chaud ? demanda Ludovic comme pour se justifier de sa nervosité. Au journal télévisé, ils répètent en boucle que c’est la canicule du siècle. Selon les spécialistes, cette hausse des températures serait le résultat du réchauffement climatique. Qu’en pensez-vous ?

– Depuis quelques années, j’ai appris à me méfier de certains médias ainsi que des pseudo-experts qui cachent souvent leurs liens d’intérêts. D’après moi, il est impossible d’être reconnu comme expert par ses pairs sans avoir des intérêts.

– Je vous comprends, ils ne se sont pas montrés tendres avec vous.

– Comme vous dites, mais au moins depuis un an et demi ils n’ont rien eu à se mettre sous la dent. Le proverbe dit : « À quelque chose malheur est bon. »

– Oui, je me souviens encore des gros titres. « Matthieu Blondin, le chéri de ses dames. Victime d’un tragique accident ou, il hésita un instant, la vengeance d’un homme trompé? » Il toussa plusieurs fois pour chasser le silence. Hum, désolé ! Ma femme a gardé tous les journaux et revues people qui parlaient de vous. Il me semble que vous avez maigri, non ? 

– Oui, il me reste encore dix kilos à reprendre. J’ai appris à ne jamais lire les ragots qui ne sont que de fausses allégations pour vendre leurs torchons. Ils savent parfaitement que leurs publications font souffrir les proches et les familles des victimes, mais ils s’en moquent, ils se comportent comme des sangsues attirées par le sang. 

– Oui, ma femme m’a tout lu sur votre accident et votre coma. Ils ont même osé voler votre intimité en publiant des photos de vous en caleçon, branché à de nombreuses machines de monitorage. Je me souviens qu’elle était triste en les regardant et me répétait souvent : « Si jeune et tellement de talent… Ce n’est pas juste ce qui lui arrive. »

– Vous savez, il chercha ses mots, le talent, c’est 10 % de chance et 90 % de travail. Le succès, c’est le public qui décide si oui ou non vous le méritez. Disons que j’ai fini par trouver mon lectorat.

– D’autres artistes avant vous ont vécu ici.

– Oui, je suis au courant. En août 2020, ma visite du « Clos Lupin » a été la première des deux raisons pour lesquelles j’avais décidé de tout lâcher à Paris pour venir m’installer ici. 

– Ah ! Et quelle était la seconde ? demanda Ludovic ravi de pouvoir partager cette exclusivité avec sa femme Angélique.

– Le syndrome d’Étretat, répondit-il en tournant la tête vers la fenêtre.

– Étrange, je n’en ai jamais entendu parler, pourtant je suis médecin.

– À vrai dire, c’est moi qui ai donné cette dénomination à cet ensemble de signes que j’ai ressenti en observant dès la première fois les falaises. Il marqua une nouvelle pause avant de poursuivre. Pour être honnête avec vous, ce n’est que la Porte d’Aval qui est responsable de mon émoi, mais je préfère ne pas en parler pour l’instant.

– D’accord, je comprends. Le point positif à retenir, c’est que vous ayez décidé de venir vous installer dans la région. Ludovic s’épongea une nouvelle fois le front. Je connais la vieille maison que vous avez rachetée à la famille Dumont qui la tenait elle-même d’un médecin de Paris. À une époque, je suis sorti avec leur fille Aline. L’avez-vous croisée ?

– Non, je n’y habitais pas encore, en attendant la fin des travaux je m’étais installé dans une chambre à…

– Chante Brise, s’écria-t-il une nouvelle fois, ma femme allait souvent se promener dans les parages en espérant pouvoir vous parler. Elle affirmait que vous connaissiez bien les femmes…

– Oh ! C’était avant mon accident. L’année passée, à ma sortie de l’hôpital, je suis retourné chez mes parents le temps de me remettre sur pied. Il sourit. Ma mère refusait de me laisser tout seul dans mon état.

– Je comprends, une mère souhaite toujours le meilleur pour son fils.

– Je pense plutôt qu’elle voulait surtout m’éviter de broyer du noir, car selon le neurologue du Havre, je souffrais de séquelles dues à mon coma. L’équipe médicale avait conseillé à mes parents de me surveiller durant les premières semaines. Ensuite, il soupira, ce sont devenus des mois. Pendant plus d’un an, j’ai dû supporter les reproches de mon père et les inquiétudes de ma mère. À mon âge, vous vous rendez compte ? Il avait légèrement élevé la voix.

– Oui, les parents se montrent parfois envahissants. Ludovic avait de plus en plus chaud. Et si je vous conduisais à votre chambre ? Il avait besoin d’air. Vos bagages vous y attendent. 

Il se leva et ouvrit grand la porte.

– Avec plaisir. Merci. Il prit appui sur ses béquilles pour se relever. La grimace sur son visage trahissait une douleur qui se faisait ressentir chaque fois. Se mettre debout était toujours pénible. Je n’ai pas encore l’habitude, s’excusa-t-il en avançant lentement vers la porte.

– Faites à votre aise, nous avons tout notre temps.

En sortant dans le couloir, ils tombèrent nez à nez avec une jeune femme qui courait en tenant un bébé dans ses bras. Elle avait failli le renverser. Heureusement, Ludovic avait réussi à le retenir juste à temps. Son bébé se cogna violemment la tête contre une béquille. Elle semblait tout excitée, elle n’en croyait pas ses yeux.

– Oups ! s’écria-t-elle.

– Vous allez bien ? Votre bébé n’est pas blessé ?

– Euh… elle vérifia en l’espace d’un éclair que son enfant se portait bien puis se retourna vers lui, non, il va bien, je vous assure, c’est bon. 

Elle n’arrêtait pas de le fixer comme si elle avait vu un revenant. 

– C’est plutôt à vous que je devrais poser la question, ajouta-t-elle.  Je sais qui vous êtes, elle afficha une bouche en cul de poule, même avec vos béquilles et sans vos célèbres lunettes de soleil je vous ai reconnu. Je suis tellement heureuse de voir que vous allez mieux. Elle lui adressa un large sourire et partit en se dandinant. Elle avait une plastique parfaite et en jouait avec outrance. Les deux hommes la regardèrent s’éloigner quand soudain elle s’arrêta, se retourna et s’écria, je sais que l’on se reverra bientôt, et elle éclata de rire.

– Ne faites pas attention, suivez-moi, s’il vous plaît, je vous fais visiter les lieux, et ils se mirent en mouvement. Comme vous l’avez très certainement remarqué en arrivant, « La Maison du bien-être » imite la forme d’une étoile de mer constituée d’un disque central autour duquel rayonnent six bras qui abritent différents services. On y a installé une salle de remise en forme, de kinésithérapie, d’ergothérapie, un atelier de peinture, de sculpture et de musique. Vous verrez, en dehors des soins médicaux, on a tout prévu pour stimuler les neurones et redonner l’envie de vivre. Vous trouverez également une piscine intérieure ainsi qu’un sauna. Le restaurant vous attend au milieu dans le cerveau de l’étoile.

– Les étoiles de mer n’ont ni tête ni cerveau. 

– Ah ! Je l’ignorais totalement. Nous avons choisi l’étoile de mer pour sa capacité de régénération. Comme vous le savez, quand elle perd un bras, elle peut le régénérer. Nous aimerions que nos résidents soient totalement transformés en sortant d’ici.

– Excusez-moi. Il ressentait de vives douleurs au niveau du bassin. Puis-je emprunter ce fauteuil ?

– Oh ! Oui, certainement. Vous en trouverez un dans chaque bras. Pour être franc, je n’osais pas vous le proposer. Vous avez raison, ce sera moins fatigant pour vous.

– Merci, je ne remarche que depuis le 14 juillet et ce qui ne laisse aucun doute, il se pinça les lèvres de douleur, c’est que je ne suis pas près de battre des records de vitesse. 

Il prit place dans le fauteuil roulant et accrocha ses béquilles avant de se mettre en mouvement. Ludovic ne s’était pas proposé de le pousser, car il savait que les personnes à mobilité réduite ne sont pas des enfants que l’on doit aider à tout prix. 

La plupart détestent ce comportement infantilisant qui les diminue. Les personnes handicapées n’ont rien de moins que les autres dites valides. Au contraire, elles font face à une difficulté de plus, celle de se déplacer. Ce mouvement qui nous paraît si naturel et tellement simple est pour la plupart d’entre elles un acte surhumain qu’elles préfèrent gérer toutes seules. Ludovic n’arrêtait pas de saluer les résidents qui lui rendaient tous son sourire. Il avait un mot gentil pour chacun d’eux. Il continuait à expliquer l’histoire du centre ainsi que son fonctionnement. 

– Pour les repas, nous avons mis en place les plages horaires suivantes : le petit-déjeuner, c’est de 7 h à 9 h, le déjeuner, de midi à 14 h et enfin le dîner, de 17 h à 19 h. La nourriture est excellente, vous verrez, vous serez satisfait, nous sommes aux petits soins pour nos invités. À votre service, jour et nuit. Ce que Ludovic avait omis de préciser, c’est que le prix du séjour était particulièrement élevé. La plupart des résidents avaient une bonne assurance complémentaire qui prenait presque tout en charge. 

Le mot d’ordre de notre établissement est : « Pas d’obligation » Personne ne vous obligera à quoi que ce soit. La compétition n’existe pas entre nos murs, on ne vous demande rien d’autre que de la bonne volonté. Le reste, c’est vous qui décidez.

– Merci, oui je sais, Jean-Paul m’en avait parlé, c’est d’ailleurs ce qui m’a incité à accepter sa proposition. 

Il porta sa main à la tempe. Il avait mal à la tête, il était surtout fatigué de la route. Le chauffeur de son père l’avait conduit et ils avaient mis quatre heures depuis Paris.

– Nous voilà arrivés dans l’unité des chambres pour hommes. Celle des femmes se trouve à l’opposé. Je vais vous présenter notre infirmière en chef, elle s’appelle Corinne, c’est une crème. Zut ! Elle n’est pas à son poste. Ce n’est pas grave, venez, je vous conduis à votre chambre. En dehors d’elle, il y a Samira et Julie, toutes les deux très charmantes.

Quelques secondes plus tard, il s’arrêta devant une porte sur laquelle était accroché un petit tableau en ardoise muni d’un stylo à craie. Il était marqué : « Le bonheur est toujours à la portée de celui qui sait le goûter. » 

– François de La Rochefoucauld, mais… il se retourna et lut sur la porte d’en face une autre citation : « Le bonheur est parfois caché dans l’inconnu. » Celle-là est de Victor Hugo. 

– Oui. Sur chaque porte, vous en trouverez une choisie par la personne qui l’occupe. La vôtre, c’est moi-même qui vous l’ai écrite ce midi. Vous pouvez la changer autant de fois que vous voulez, mais il y a une règle à respecter.

– Laquelle ?

– Ne jamais indiquer l’auteur. Ainsi cela incite les personnes qui la lisent à chercher son nom. Cela occupe le cerveau et permet de réfléchir au sens des mots.

– Ah ! 

– Entrons !

– Oui.

 Il attrapa ses béquilles, se mit debout et fit quelques pas en direction de ses valises qui l’attendaient au pied du lit.

– Comme vous le constatez, c’est une chambre pour deux personnes, c’est mieux pour le moral, et aussi une question de sécurité. Je ne parlais pas pour vous, mais certains résidents ont un passé, enfin vous comprenez. Tant qu’il y a assez de place, vous pourrez rester seul.

Ludovic avait rassemblé tout son courage pour lui demander s’il était d’accord pour que sa femme vienne un jour lui rendre visite. Cela lui ferait tellement plaisir, elle vous admire tant.

– Oui ! Bien entendu, avec plaisir, mais j’aimerais si possible ne pas ébruiter mon retour à Étretat. Vous comprenez ?

– Alors là, il avait l’air navré, sachez que cela ne dépend plus de moi ni du personnel qui a reçu la consigne de garder le silence. Si vous ne voulez pas que la nouvelle de votre présence se répande comme une traînée de poudre, vous devrez absolument conclure un marché avec Fanny pour qu’elle se taise. Le plus vite sera le mieux.

– Fanny ? 

– C’est la jeune femme avec le bébé que nous avons croisée. Elle n’a que 22 ans et depuis son arrivée, elle parle à tort et à travers avec tout le monde.

– Ah ! Au fait, comment est-ce possible que vous acceptiez les bébés ?

  • Oh ! Heureusement, nous n’en avons qu’un. Comment vous expliquer sans entrer dans les détails ? Pour faire simple, mon autorité s’arrête là où commence celle de la psychiatrie. À mon tour de vous poser une petite question qui peut vous paraître saugrenue. Pourquoi avez-vous choisi notre centre ? Qu’attendez-vous de nous ?

Avant son accident, il lui aurait fait remarquer qu’il venait d’en formuler deux et que les mots avaient un sens. S’il se trouvait là, c’était parce qu’il espérait obtenir des réponses à des questions qu’il ne se posait pas avant. Il avait besoin de réfléchir et pour cela il devait s’éloigner de Paris et de ses parents. Il voulait se retirer de la ville pour retrouver les jolies falaises d’Étretat et surtout la Porte d’Aval qu’il craignait tant. 

Il était en manque. Il adorait s’asseoir et scruter l’horizon au loin. C’était dans son autre vie, un peu avant l’accident qui avait failli lui être fatal. Lui qui ne se posait jamais de questions, depuis ce jour-là, il n’avait pas arrêté de chercher des réponses à ses interrogations. Pourquoi? Il souhaitait comprendre ce qui lui était arrivé. Il voulait connaître le sens de la vie, rencontrer le véritable amour et pour finir, partir à sa propre recherche en son for intérieur. Aujourd’hui, il n’avait pas envie d’expliquer tout cela, il se contenta d’une simple réponse.

– Mon père faisait souvent des affaires avec Jean-Paul. Un soir, il y a un peu moins d’un mois, il l’avait invité à dîner à la maison. Nous avons parlé de ce qui m’était arrivé et il m’a proposé de venir reprendre des forces dans son nouveau centre qui se trouvait comme par le plus grand des hasards à Étretat. Ma mère était contre, elle disait que cela raviverait de mauvais souvenirs. Mon père souhaitait que je parte. Il n’a jamais vraiment accepté la voie que j’avais empruntée. 

Pour lui, ce n’était pas vraiment un métier, il considérait cela comme un passe-temps. Mon père voulait que j’intègre sa société pour reprendre un jour le flambeau. Il afficha un léger sourire en s’asseyant sur le lit. Jean-Paul avait ajouté que cela m’aiderait peut-être à retrouver l’inspiration qui me faisait défaut. Ce serait l’occasion de revenir sur le devant de la scène. Son regard se perdait à travers la vitre. 

J’attends toujours le déclic et j’avoue que mon agent s’impatiente. En ce qui me concernait, son offre était pour moi un signe que m’envoyait l’univers, celui de revenir là où tout avait commencé. J’avais fui Paris une première fois, je ne me suis pas fait prier et ai accepté sa proposition. J’aime cet ancien village de pêcheurs qui est devenu un bel endroit touristique. Il attire chaque année de nombreux visiteurs venus du monde entier.

– Un peu trop au goût de la population qui aspirerait parfois à plus de tranquillité. Savez-vous que certains vacanciers volent nos galets sur la plage ? Ils partent avec de grands sacs.

– Oui, on me l’a souvent raconté.

– Bon, il semblait contrarié, je vous laisse vous installer. Il s’avança vers la porte, puis se ravisa, se retourna et dit, j’aimerais vous poser une dernière question. Si vous n’avez pas envie de me répondre, je comprendrai.

– Oui, je vous en prie. Laquelle ?

– Comment faites-vous pour savoir aussi bien ce que pensent les femmes ?

Il sourit, car on lui posait souvent la même question et chaque fois, il s’amusait à rejouer la scène de Jack Nicholson. Il répéta sa réplique dans le film « Pour le pire et le meilleur » qui disait : « J’écris au masculin et je soustrais la logique et les responsabilités. » Aujourd’hui, il avait changé, il ne se montrait plus sarcastique et se contentait de répondre par :

– Je vous avoue que je n’en sais strictement rien, cela doit être mon côté féminin qui s’exprime.

– Bien, merci. Il parut surpris! Ah ! Une femme venait de faire irruption dans la chambre. Elle les salua et leur montra un joli sourire. Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à m’en parler. Je vous laisse en compagnie de Samira. 

Ludovic passa à côté d’elle et sortit.

– Merci beaucoup, à plus tard.

Samira avait le teint hâlé, elle était née en France, mais ses parents étaient originaires de Tunisie. Elle portait de longs cheveux couleur auburn. Il la trouvait belle dans son uniforme bleu ciel. Elle était beaucoup plus petite que lui.

– Bonjour ! Comment allez-vous ? J’aime bien votre prénom d’origine arabe qui signifie « bonne compagne ».

– Bonjour ! Oh ! Je vais bien, merci. Elle rougit. Que pouvez-vous encore me dire sur mon prénom ?

– Je pense me souvenir qu’une des épouses de Mahomet s’appelait Samira.

– Oui. Exact ! Elle sourit. D’après votre dossier, nous avons le même âge. 

– Sans doute, si vous le dites. Et bien entendu, vous savez aussi qui j’étais.

– Bien évidemment !

Samira le connaissait bien avant aujourd’hui. C’était une grande liseuse et elle aimait tout chez lui. Elle n’aurait jamais cru qu’un jour l’homme dont elle était une grande fan dormirait dans l’unité dont elle s’occupait depuis quelques semaines. 

Quand elle avait appris la nouvelle deux jours auparavant, elle n’avait plus fermé l’œil tellement elle était retournée à l’idée de le rencontrer. Et voilà qu’ils étaient tous les deux réunis dans sa chambre, elle se tenait tout près de lui et pouvait presque le toucher. Elle avait épluché son dossier et découvert sur lui des choses que même Wikipédia ignorait. Elle savait que depuis la veille il avait 38 ans. Il était toujours célibataire et son vrai nom était Léandre Vallon et pas Matthieu Blondin. Il mesurait 1m78 et pesait actuellement 69 kg. 

Il avait les cheveux bruns mi-longs coiffés en arrière avec un dégradé sur les côtés. Elle devint tout à coup pensive, un détail la troublait.

  •  Vous avez changé de parfum ! dit-elle le plus naturellement du monde. Ce n’est plus « Bois oriental » de Serge Lutens, ajouta-t-elle en se noyant dans ses yeux verts.
  • C’est exact ! Comment savez-vous cela ?
  • Mais, elle se sentait idiote, je sais tout sur vous, enfin je le pensais. Elle faisait allusion à son nouveau parfum. Je vous suis depuis vos débuts, il y a six ans. Pourquoi avoir choisi un autre nom ? Elle n’arrêtait pas de le fixer. Et pourquoi dites-vous « qui j’étais » ? Ce ne sont pas vos béquilles qui changent celui que vous étiez. 

Elle n’avait pas souhaité lui parler de son léger handicap.

  • Oh ! Il se sentit troublé et ajouta en souriant, je voulais dire avant, quand je me faisais passer pour celui que je n’étais pas en portant un pseudonyme. Le nom qui est indiqué dans le dossier est celui que mes parents m’ont donné. Pouvez-vous s’il vous plaît ne pas trop en parler aux autres résidents ? J’aimerais être tranquille, cela fait plus d’un an et demi que j’ai disparu de la presse à scandale. Je pense que la plupart ont oublié mon visage.

– Oui, sans doute, mais votre photo se trouve sur chacune des quatrièmes de couverture de vos romans. 

  • C’est vrai, vous avez raison. Il se pinça les lèvres. Hélas !
  • Je vous promets de ne rien dire. Je vais vous laisser défaire vos valises. Elle consulta sa montre, à moins que vous ne préfériez dîner avant. Elle s’apprêtait à franchir le pas de la porte lorsqu’elle se retourna. Je voulais vous dire que mon préféré des quatre, c’est le dernier, celui qui est sorti une semaine avant votre accident, « Née pour aimer ».

 » Ce qui compte, c’est ce qui est inscrit non sur les papiers d’identité d’un homme, mais dans son cœur.  » Henri Troyat

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